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XXXIV.

Berthier, jusque-là fidèle, mais lassé, entra avec les maréchaux et les chefs de corps. Les contenances étaient contraintes, tristes, embarrassées. Le mot avait été dit trois jours avant. On ne voulait pas le répéter, on voulait le faire répéter par les choses mêmes. Berthier confirma en paroles brèves et officielles les dangers croissants et insurmontables de la situation. « Fontainebleau sera » complétement muré dans quelques heures.-Je le sais, >> répondit l'empereur comme s'il eût été importuné de la » vérité. Il ne s'agit pas des ennemis, mais de vous et » de moi. Mon abdication, je l'ai offerte; mais on m'im» pose maintenant d'abdiquer pour ma famille. On veut » que je dépose moi-même ma femme! mon fils! vous » tous dans ma famille! Le souffrirez-vous? J'ai de quoi » percer ces lignes qui m'entourent; je puis parcourir et » réveiller la France! Je puis arriver aux Alpes, rejoin» dre Augereau, rallier Soult, rappeler Suchet, attein>>dre Eugène en Lombardie, passer en Italie, y fonder » avec vous un nouvel empire, un nouveau trône, de >> nouvelles fortunes pour mes compagnons, en atten>> dant que le cri de la France nous rappelle. Me suivrez>> vous? »

XXXV.

Les visages lui avaient répondu d'avance, les voix unanimes lui répondirent. C'était la guerre civile promenée de province en province sur la France, les armées

de l'Europe appelées par millions d'hommes jusque dans les derniers asiles de l'indépendance du pays, la patrie déjà assez malheureuse changée en champ de bataille et de ravage universel! La gloire ne pouvait pas être où tout patriotisme manquait. Les conquérants de l'Europe pouvaient-ils finir en aventuriers du moyen âge, allant chercher des trônes étrangers après avoir abdiqué celui de l'univers ?

L'empereur irrité ou feignant de l'être demanda qu'on le laissât à ses réflexions.

Les maréchaux sortis : « Quels hommes, dit-il à Cau>>> laincourt en se rasseyant devant ses cartes, quels hom» mes! Ni cœurs, ni entrailles! Je suis vaincu par l'é» goïsme et par l'ingratitude de mes frères d'armes plus » que par la fortune. Tout est consommé! Partez et >> confirmez les deux abdications. >>

Caulaincourt partit une troisième fois pour Paris. Il ne restait plus qu'à stipuler pour Napoléon et pour sa famille des conditions plus ou moins généreuses que les souverains alliés accordaient à cette capitulation du monde.

LIVRE NEUVIÈME.

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Traité de Fontainebleau du 11 avril. - Retour de Caulaincourt et de Macdonald. - Napoléon refuse de signer le traité. - Bruits d'empoisonnement. Ratification du traité. Vie de Napoléon à Fontainebleau. - Voyage de Marie-Louise. - Son séjour à Blois. - Lutte de Marie-Louise contre les frères de l'empereur. Son départ de Blois le 16 avril. - - Elle retourne vers son père. - Dernières journées de Napoléon à Fontainebleau. Adieux et allocution de Napoléon à sa garde.

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Napoléon.

I.

Les pensées se pressaient et les résolutions se heurtaient dans la tête de Napoléon livré à lui-même. A peine Caulaincourt était-il parti que l'empereur le faisant suivre à Paris par un aide de camp lui écrivait : « Revenez, rap» portez-moi mon abdication, je suis vaincu, je suis pri» sonnier de guerre, je cède au sort des armes, point de >> traité, un simple cartel doit suffire. »

Le soir un autre envoyé apporte à Caulaincourt l'ordre de cesser toute négociation.

Dans la nuit, un troisième message lui dit : « Je vous » ordonne de me rapporter mon abdication. Dans tous >> les cas, point de stipulation d'argent. C'est humiliant! >> Sept courriers en vingt-quatre heures harcelèrent le négociateur de Napoléon d'ordres et de contre-ordres de cette nature. Il se repentait d'avoir abdiqué. Il avait donné l'autorité de son propre consentement à sa déchéance et à celle de sa famille. Il aimait mieux la condi

tion de vaincu et la déposition par les armes étrangères qu'un traité et la déposition volontaire. On pouvait récriminer plus tard contre l'un, on ne pouvait protester contre l'autre. Il avait raison maintenant dans l'intérêt de ses projets futurs. Mais comme tous les hommes indécis, il avait raison contre lui-même. Il avait signé deux fois sa propre condamnation.

II.

Son négociateur à Paris et les maréchaux qui le secondaient n'écoutaient plus ces tergiversations de sa pensée. Ils continuaient, dans son intérêt, à négocier pour lui et pour les siens les conditions les plus dignes de sa grandeur passée et de sa sécurité future. Leur honneur était intéressé à ce que ces conditions parussent au niveau de l'homme dont ils avaient garanti la vie et l'honneur en abandonnant ses drapeaux. Le 11, le traité fut signé à Paris par les puissances. Il faisait à Napoléon un sort intermédiaire entre les conditions des rois et la condition privée. Trop grand, s'il n'était plus qu'un soldat; trop étroit et trop menaçant, s'il était encore un monarque. Concession à la terreur de son nom, ou imprudence de la magnanimité d'Alexandre. Dioclétien après l'Empire ne voulut qu'un jardin en Illyrie, Charles-Quint un couvent en Estramadure. Le sang de la France et de l'Europe effaça bientôt le traité. Le voici il marque une halte dans la destinée de Napoléon et dans les calamités de la France.

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