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resserrer l'espace autour de lui. L'habitude de la supériorité de ses armées sur les armées ennemies le trompait lui-même. Il combattait avec un tronçon d'armée comme il avait combattu naguère avec cinq cent mille soldats. Il avait encore le génie du combat, il n'avait plus celui de la situation. Six mille Français restèrent encore dans les sillons de la Rothierre. Douze mille vies en trois jours manquaient à une armée de soixante-dix mille combattants. Napoléon sembla seulement demander à la nuit de cacher pour la première fois la douleur et l'humiliation d'une retraite. Pendant la bataille, il faisait établir des ponts sur l'Aube, et, laissant le maréchal Marmont avec six mille hommes en arrière-garde, il profita de l'obscurité pour passer la rivière et pour reprendre comme au hasard la route de Troyes.

VI.

Nous disons au hasard, car l'occupation de Troyes, raisonnée avant la jonction de Blücher et de Schwartzenberg, n'avait plus de signification depuis que cette jonction s'était opérée, malgré lui, après les batailles de Brienne et de la Rothierre. Il continuait une route sans but, il errait en France, il ne marchait plus. Marmont le suivait, poursuivi de près par la cavalerie prussienne, et devancé à Rosnay par vingt mille Bavarois. Il mit pied à terre, et, imitant héroïquement l'empereur à Brienne, il fondit avec quelques bataillons sur le corps d'armée qui lui fermait le passage. Il se fit jour à la baïonnette, et parvint à Arcis-sur-Aube à l'heure où l'empereur entrait lui-même à Troyes.

VII.

A peine arrivé à Troyes, il se repentit d'y rester. Il ne pouvait ni s'y défendre ni s'en servir comme base d'une opération agressive. La vaine satisfaction d'entrer dans une ville de son empire et d'y rester trois jours lui coûtait douze mille hommes, la lassitude du reste et l'éloignement de vingt-cinq lieues de plus de sa capitale, découverte par son excursion au fond de la Champagne. La route de Paris était ouverte aux deux armées désormais réunies de Blücher et de Schwartzenberg, si, écrasant les faibles corps de Napoléon, elles avaient marché non pour l'éviter, mais pour le poursuivre.

VIII.

De sinistres nouvelles de toutes les parties de son empire lui parvinrent coup sur coup pendant les trois jours qu'il resta hésitant à Troyes. Le général Maison, son lieutenant de confiance en Belgique, repoussé par l'insurrection des nationalités sous ses pas, rentrait dans le département du Nord, à peine assez fort pour le couvrir. Le maréchal Soult, le plus consommé et le plus froid de ses seconds, se repliait pas à pas de la direction de Bordeaux qui lui avait été tracée en sortant d'Espagne sur Toulouse. Paris murmurait de ne pas entendre encore le bruit d'une de ces victoires auxquelles il était accoutumé à l'ouverture d'une campagne. Les départements envahis ou menacés ne se levaient pas d'eux

mêmes au bruit des pas de l'ennemi. Les volontaires de 1792 ne couvraient pas les routes au chant de la Marseillaise. Le despotisme n'avait pas les miracles de la liberté. La France était froide. On commençait à discuter à voix basse sur la nature du gouvernement qui succéderait à l'Empire. Quelques voix se souvenaient des Bourbons oubliés vingt ans. Ce long oubli était favorable à leur cause. Le souvenir lointain a ses prestiges qu'on peut faire apparaître comme des espérances indéfinies aux yeux des peuples. Le passé a des illusions comme l'avenir. Les jeunes populations ignorantes ne répugnaient plus à ces mémoires des anciens rois que leur retraçaient leurs pères. Le ministre de la police Savary disait rudement la vérité à son maître. L'Empire commençait à trembler sous ses pas. C'était le moment encore de se résigner à la disproportion de ses forces avec les forces démesurées qui le pressaient et de former autour de sa capitale une ceinture de deux cent mille hommes rappelés de toutes les extrémités au centre. Il le voulut, il ne le voulut plus; il se laissa aller une heure à la raison, une heure après à la moindre lueur de son étoile, un peu à la nécessité, un peu à l'illusion, toujours et jusqu'au terme à l'indécision. Son séjour prolongé à Troyes n'était que la prolongation et le symptôme de ses incertitudes.

IX.

M. de Caulaincourt, son négociateur intime depuis qu'il se défiait de M. de Talleyrand, était parti de Paris quelques jours avant le départ de Napoléon pour l'armée,

Confident de l'empereur, il portait sur son nom la tache d'une complicité involontaire, mais terrible, dans l'enlèvement du duc d'Enghien. Il était une des mains dont Napoléon s'était servi pour amener la victime à l'immolation. Cette douleur pesait sur Caulaincourt. Sà faveur, ses dignités, son titre de duc de Vicence, sa longue familiarité avec l'empereur de Russie, à la cour duquel il avait résidé comme ambassadeur, ne suffisaient pas pour écarter ce nuage de son front. Il avait été trompé; il se disait innocent; on le croyait, mais il ne se pardonnait pas à lui-même d'avoir obéi à un ordre qui aboutissait à un crime. Il n'avait de refuge que dans sa conscience devant Dieu et devant les hommes, dans l'excès de dévouement à l'empereur. Un tel négociateur devait désirer passionnément la paix, car la paix écartait définitivement les Bourbons. Le nom de Caulaincourt et le nom de Condé ne pouvaient se rencontrer en France; leur retour était son exil. Napoléon l'avait choisi à ce signe. Il savait qu'un ambassadeur aussi compromis avec la Restauration ne pouvait pactiser avec elle. Une complicité apparente lui répondait d'une fidélité à tout prix.

X.

Caulaincourt arrivé aux avant-postes des armées coalisées y fut retenu quelques semaines. Le Rhin était franchi, les colonnes avançaient, les généraux manœuvraient, les provinces tombaient l'une après l'autre dans les mains de la coalition. Les cabinets étrangers voulaient donner du temps à leurs victoires. Il serait toujours assez temps

d'ouvrir un congrès quand les événements se seraient prononcés davantage. A la fin, M. de Metternich, véritable Ulysse de ce conseil de rois, les fit consentir à ouvrir un simulacre de congrès au cœur même de la France. Les alliés choisirent la petite ville de Châtillon, aux confins de la Bourgogne et de la Champagne, au confluent de tous ces courants d'armées qui se disputaient le sol de la France. Ils neutralisèrent Châtillon pour que les vicissitudes de la guerre ne troublassent pas le siége de la négociation. Le 27 janvier, Caulaincourt, retenu à Nancy, reçut du prince de Metternich l'invitation de se rendre à Châtillon. Il y trouva le comte Razumoski, négociateur pour l'empereur Alexandre; le comte de Stadion pour l'Autriche; le baron de Humboldt pour la Prusse; lord Castlereagh pour l'Angleterre. Les conférences s'ouvrirent sans beaucoup d'espoir des deux côtés, le 4 février. C'était plutôt une conversation officielle entre les représentants des cours et celui de Napoléon qu'une négociation ayant pour base une trêve et pour but une paix. Il était évident que le véritable plénipotentiaire, invisible dans un pareil congrès, était la fortune de la guerre. Les événements militaires, base des conférences, changeaient à toute heure. Comment les discussions auraient-elles un point de départ et une solution?

L'empereur Napoléon lui-même, malgré sa confiance dans son négociateur, s'était gardé de lui donner de véritables pleins pouvoirs et un ultimatum décidé. Les premiers jours, il avait ordonné à M. de Caulaincourt de ne consentir qu'aux limites naturelles, et dans ces limites naturelles il enfermait les départements de la rive gauche du Rhin, la Belgique, Anvers, Ostende, la Savoie. Quel

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