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» sont plutôt une capitulation qu'une paix. Maintenant » qu'ils fuient, leurs idées doivent être changées... Votre » bulletin d'aujourd'hui a été mal accueilli par l'opinion » publique. On a interprété quelques phrases comme des >> subterfuges pour éluder la paix.»>

Napoléon, exalté par le succès, reprend : « Mon frère, >> j'entre à Troyes. On m'assiége de parlementaires pour » implorer la trêve. Je serai ce soir à Châtillon-sur» Seine... Le ministre de l'intérieur, M. de Montalivet, » est un trembleur. Il a une idée folle des hommes. Ni » lui, ni le ministre de la police, Savary, ne connaissent » la France. »

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Sire, M. de Montalivet est extrêmement zélé pour >> votre service, écrit Joseph. Il s'occupe de vous fournir >> les forces que vous demandez. »

« Mon frère, réunissez les ministres, les grands digni>> taires, les présidents du conseil d'État. Lisez-leur les >> conditions qu'on me fait (la France dans ses anciennes limites). Ce ne sont pas des avis que je veux, ce sont >> les sensations que je désire connaître.»

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Sire, j'ai tenu le conseil. On est d'avis de tout accep>> ter plutôt que d'exposer Paris. On regarde l'occupation » de Paris comme la fin de votre dynastie et le commen>> cement de grands malheurs. La paix quelle qu'elle » soit!... Elle est nécessaire aujourd'hui. Elle pourra » cesser un jour quand la France aura respiré. Faites >> donc une trêve dans votre pensée réservée, puisque l'iniquité de vos ennemis ne vous permet pas une paix juste. Vous resterez à la France et elle vous restera. >> Vous serez reconnu par l'Angleterre. Vous sauverez » une seconde fois la patrie par la paix, après l'avoir

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» sauvée et illustrée tant de fois par la guerre. La France » vous rendra en bénédictions ce que des esprits superfi» ciels croiront que vous aurez perdu en gloire.

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Hier, les rentes de l'État sont tombées à 51 francs, » moitié de leur valeur nominale. Macdonald est débordé. » Les coureurs ennemis arrivent jusqu'à quelques lieues » de Paris. Bordeaux fermente comme un foyer de guerre » civile. Soult est assailli par d'immenses forces. Vous >> êtes vainqueur encore... Signez la paix. Vous ferez ou» blier aux Français Louis XII et Henri IV. Vous de» viendrez le père du peuple. >>

>>

Napoléon. « Mon frère, j'ai examiné la position de l'ennemi; elle est trop forte. Je reviens sur mes pas. » Marmont s'est comporté comme un sous-lieutenant. » La jeune garde fond comme la neige. Ma garde à che>> val se décime aussi, ma vieille garde se soutient..... >> Commandez des redoutes sur Montmartre... »

Voilà le dialogue continu entre l'empereur et son frère pendant les péripéties de cette courte campagne. On y lit le dialogue intérieur de son âme avec ses pensées, la lutte alternative de ses illusions et de ses résignations. Son cœur s'élevait ou se comprimait avec l'événement de chaque journée. Il attendait la France, qui ne se levait pas sous ses pieds. Nul plan que celui de la veille, détruit par celui du lendemain. Chaos dans l'esprit, flottement dans les pensées. Le salut ne pouvait se retrouver pour lui que dans un grand parti raisonnablement adopté, suivi avec unité de vues et constance d'opérations. Il les prenait et il les abandonnait tous. Ces demi-partis ne pouvaient lui donner ainsi que de demi-résultats. Le nombre croissait, l'espace se resserrait, le temps courait,

la France se lassait. C'était la campagne du hasard. Nul héroïsme ne pouvait corriger une si perpétuelle vicissitude d'idées. De grandes timidités des alliés donnèrent des retours éclatants aux armes de Napoléon.

XIV.

Blücher, refoulé mais non battu à la Rothierre, au lieu de revenir sur la petite armée de l'empereur avec toutes ses forces attendues et réunies, se replia sur Châlons pour aller retrouver son arrière-garde. De là il marcha sur Paris rapidement par la vallée de la Marne. Le prince de Schwartzenberg s'approcha en masse de Troyes, pour tendre au même but par la vallée de la Seine. Napoléon était entre ces deux routes et entre ces deux armées, à six lieues de l'une et de l'autre, fermant à Schwartzenberg la route de Troyes à Paris.

En apprenant par les avis de Macdonald l'invasion de Blücher dans les plaines de Paris, Napoléon résolut de . l'assaillir de nouveau, de le rompre et de revenir à temps combattre Schwartzenberg aux abords de Troyes. Il se porta à marche forcée sur Champ-Aubert. Il y prit en flanc l'armée russe, de cent vingt mille hommes, l'écrasa, lui tua cinq mille hommes, la traversa de part en part, en écarta les tronçons, les uns rejetés de nouveau sur Châlons, les autres, sous les ordres des généraux York et Saken, déjà enfoncés dans la plaine de Meaux, et voyant les clochers de Paris. La victoire fut éclatante, mais stérile. Le lendemain les colonnes russes et prussiennes de York et de Saken revenant de Meaux au bruit du canon,

au nombre de soixante mille hommes, se heurtèrent contre l'armée harassée de Napoléon sur les coteaux de Montmirail. Les Français ne comptaient plus que vingtcinq mille combattants, mais c'était l'élite de la France, éprouvée par dix campagnes, encouragée par la victoire de la veille, et croyant jouer le coup décisif de la patrie. La bataille acharnée sur la pente des plateaux et dans les gorges que Napoléon avait à franchir pour aborder les Prussiens, dura depuis le lever du jour jusqu'à la nuit. Le soleil d'hiver le plus éclatant brillait sur les coteaux dépouillés de feuilles. Il étincelait sur les armes et sur les canons. Il dessinait nettement à l'œil les deux armées et leurs mouvements. L'une, immense, reposée, sentant derrière elle l'appui des colonnes nouvelles et inépuisables; l'autre, imperceptible, fatiguée, salie par les boues des doubles marches qu'elle venait de faire depuis quinze jours, de bivouacs et de combats, sentant sous ses pieds le sol de la patrie qui se resserrait et s'abîmait chaque soir, n'ayant devant elle en perspective, même en cas de victoire, qu'un champ de bataille inutile, derrière qu'une seconde armée à combattre le lendemain, et cependant elle bouillonnait d'ardeur. On eût dit que le cap élevé du village de Marchais s'avançant sur la plaine, étagé de batteries, couvert de bataillons russes, prussiens, était les Thermopyles de la France. L'empereur Napoléon, descendu de cheval au bord d'un petit bois labouré par les boulets ennemis, dirigeait de là les assauts de ses troupes. Ce village et les fermes éparses dans les anses des coteaux dont il était flanqué furent pris et repris plusieurs fois par les Français et par les Prussiens. De nombreux spectateurs accourus de Montmirail et des villages

voisins contemplaient, comme des gradins d'un cirque, cette lutte inégale du Nord et du Midi, où la guerre, après s'être disputé le monde, se disputait leur propre patrie. Les visages étaient consternés, émus, les bras immobiles; il n'y avait plus que des vieillards, des enfants, des populations harassées de dix ans de recrutement insatiable. On pleurait sur la patrie, on s'intéressait à ce grand capitaine, à ces bataillons décimés; on ne les rejoignait pas. La lassitude avait produit l'indifférence.

XV.

Vers la fin du jour, les Français, pour empêcher les Prussiens et les Russes de revenir se loger dans les hameaux crénelés au pied des promontoires de Montmirail, incendièrent quelques fermes. La fumée de ces incendies et celle des décharges flottèrent longtemps sur les deux armées comme des brouillards au soleil, sans qu'on pût préjuger leur sort. Mais bientôt Napoléon, rallié sur sa droite par Marmont, sortit vainqueur de toutes les gorges, sur toutes les hauteurs du champ de bataille. Les soixante mille Russes et Prussiens de Saken et d'York se précipitèrent une seconde fois vers Meaux, cherchant au hasard le cours de la Marne pour la traverser et s'en couvrir. S'il y eût eu une armée de réserve sous Paris, ils étaient anéantis, et Napoléon, refluant sur Blücher, diminué de la moitié de ses bataillons, l'aurait écrasé sous les Vosges. Mais il ne pouvait plus que vaincre, il ne pouvait ni saisir une victoire, ni poursuivre un corps d'armée vaincu.

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