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çonnant pas qu'il l'envoyait chercher des moyens nouveaux de fascination et d'empire.

Et pendant ce temps la France resta en proie aux agitations et aux misères d'une politique sans inspiration comme sans courage.

Ici apparaît le tableau d'une époque dont le seul nom éveille des images de honte et de ruine.

A peine Bonaparte était parti pour l'Égypte que tout avait changé dans la fortune de la France. La paix de CampoFormio n'avait été qu'une trève; des coalitions s'étaient refaites sous l'inspiration anglaise; la Russie y était entrée, et aussitôt avait dirigé des forces vers l'Italie, et l'empereur d'Allemagne leur avait ouvert un passage en violation des traités. Ainsi la guerre se raviva, et la conduite des armées françaises, laissée à des généraux épars, manqua d'ensemble et d'énergie. De vaillants capitaines se montraient toutefois, et à leur tête le général Moreau, plus savant à faire manœuvrer une armée qu'à la passionner, génie plus accommodé à des temps réguliers qu'à des temps. de trouble ou d'enthousiasme. Les combats étaient isolés; la guerre était une sorte d'anarchie. En Italie, elle était pire encore; elle ressembla à une frénésie.

Là l'occupation française, même avant le départ de Bonaparte, avait exalté le désordre révolutionnaire; le délire impie était devenu une contagion. Le Directoire, dans cet entraînement, avait conçu le dessein de faire tomber le pouvoir du pape, et les prétextes n'avaient pas manqué pour l'attaquer à force ouverte. C'est ici un des drames les plus funestes de l'histoire.

28 décembre. Le pape Pie VI, un vieillard de 80 ans, occupait le trône de St-Pierre. Peu fait pour les combats, il avait su cependant défendre son indépendance, et il avait été mêlé aux événements de la guerre comme de la paix. Les généraux de la République, et surtout Bonaparte, avaient d'abord gardé envers lui un reste de respect; mais il vint un moment où les desseins impies franchirent les bornes. On sema le trouble dans Rome; on ameuta des furieux, et dans la sédition, comme les soldats

romains défendaient le pape, le général Duphot, l'un des envoyés du Directoire, reçut un coup de feu, au moment où il excitait les rebelles le sabre à la main sa mort devint un motif de vengeance et un prétexte d'attentat.

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1798. Le pape désolé du meurtre de Duphot offrait au Directoire toute sorte de satisfaction; on n'écouta point sa voix; mais une armée conduite par Berthier alla occuper Rome comme une conquête. Alors sous les armes françaises la révolte fut libre, une république fut proclamée, le pouvoir papal fut aboli, et le pontife fut livré aux outrages. On lui offrit une pension et une vie douce, s'il voulait accepter de bonne grâce la révolution qui le dépouillait, et s'il se montrait au peuple avec les insignes de la République.

« Je ne connais, dit-il, d'autres insignes que ceux dont l'Église nous a honoré. Vous avez tout pouvoir sur notre corps, vous n'en avez aucun sur notre âme, qui méprise et brave vos attentats. Nous n'avons besoin d'aucune pension, un bâton et un habit le plus grossier suffiront à celui qui pour défendre la foi doit bientôt expirer sur la cendre. »

A partir de ce moment, Pie VI ne fut plus qu'un martyr; rien n'avait égalé en aucun temps le supplice qui allait couronner sa vie. Mais la résignation du prêtre laissa éclater la grandeur du souverain. L'envoyé du Directoire crut lui arracher l'abandon libre de ses Etats par l'offre nouvelle d'une grande existence et d'une pension de 300 mille francs. «Notre puissance, répondit-il, en vertu d'une libre. élection, provient de Dieu et non pas des hommes; et par cela seul nous ne pouvons ni ne devons y renoncer. Nous nous approchons de la quatre-vingt-unième année de notre vie. Nous n'avons rien à craindre de vous. Nous permettons que l'on soumette notre corps à toutes les violences, les indignités, les déchirements; et cela suivant la volonté. de quiconque a la force en main. Mais, croyez-le bien, notre âme est encore tellement libre, tellement forte et remplie d'un tel courage, qu'elle rencontrera mille fois la mort, avant d'offenser l'honneur et son Dieu. Retirez-vous. >>

Alors on n'eut qu'à achever la violence. On arracha le vieillard à son palais, et on l'envoya d'exil en exil, privé

de conseils et d'amis, dépouillé de tout bien, à peine vêtu; et Rome et ses richesses restaient pendant ce temps la proie de quelques bandits, sous le nom de républicains. Cette fois les ennemis de l'Église purent penser qu'elle était à jamais vaincue. Tous les cardinaux étaient dispersés; plusieurs étaient jetés en prison, d'autres déportés, tous dépouillés, ruinés, à la merci des oppresseurs, comme leur maître.

Le pape trouva quelques jours de paix en Toscane, où le grand-duc Ferdinand III l'entoura de soins pieux. Mais son âme était déchirée et sa santé fléchissait. Pensant à la mort près de l'atteindre, il concentra toutes ses sollicitudes sur l'état de l'Église ; il écrivit aux empereurs d'Allemagne et de Russie pour leur parler non de ses malheurs, mais des affaires de la religion, et il promulgua secrètement une bulle par laquelle, en vue du péril où était sa vie et de l'état où pouvait tomber l'Église en perdant son chef, il suspendait les lois et les usages des conclaves, et recommandait aux cardinaux réunis de faire l'élection, même sans attendre les dix jours prescrits par les coutumes.

L'intérêt du monde se portait sur le pontife; mais la pitié était un crime, et lui-même, pour ne point exposer le grand-duc à la haine des tyrans, il le supplia de le délaisser dans sa solitude.

On ne saurait dire ici quelles furent les douleurs de Pie VI. Il voyait l'Italie dévastée, les trônes renversés, les rois fugitifs, les peuples dans la sédition et dans le délire, l'impiété maîtresse, le schisme établi jusque dans Rome. Bientôt la guerre chassa le grand-duc de ses États, et un ordre du Directoire vint arracher le pape de sa retraite de la Chartreuse. On le laissa s'abriter quelques jours chez le duc de Parme; mais le duc de Parme fut frappé à son tour; il fallut que le pape s'abandonnât comme un captif à la volonté des émissaires du Directoire, qui le traînèrent mourant sur une charrette, par Turin et par le mont Genèvre, jusqu'à Briançon.

Chose admirable! le vieux sol catholique de France sembla tressaillir en se sentant touché par les pas du souverain

pontife. La foi n'était pas morte dans la frénésie des crimes révolutionnaires; elle s'était comme enfoncée au fond des cœurs, et l'approche du pape la fit éclater. On le dirigeait vers Grenoble; et partout, à la nouvelle de son passage, accouraient les populations émues, appelant sa bénédiction et tombant à genoux sous la main du saint vieillard. Les gendarmes qui le gardaient donnaient l'exemple du respect, et le pape dut plus d'une fois se sentir consolé au contraste de ces libres témoignages avec la méchanceté des persécuteurs. Son entrée à Grenoble fut un triomphe. A ces signes de sympathie publique et bruyante, on craignit des explosions de révolte; du fond des prisons où des prêtres gémissaient encore partirent des conseils qui calmèrent l'émotion. Des multitudes encombraient les rues et couvraient les toits des maisons. Peuple et soldats se mêlaient pour saluer le captif. Les officiers cédaient à l'enthousiasme.

Durant cinq jours, le saint pape se fatigua à recevoir les hommages, à bénir les hommes et les femmes, les vieillards et les enfants, à distribuer des objets qu'il avait touchés, et que chacun emportait comme des reliques. Puis on l'envoya à Valence, mais cette fois comme un prisonnier; on avait senti le danger de le laisser en contact avec des populations promptes à s'enflammer, et on le tint enfermé et isolé avec une rigidité soupçonneuse. Il restait néanmoins quelque souvenir des égards qui lui étaient dus. « Le commissaire près l'administration centrale du département de la Drôme sera spécialement chargé tant de la surveillance sur la personne du pape, à Valence, que de la sûreté et des moyens de pourvoir à ses besoins avec tous les égards convenables. » Ainsi parlait l'arrêté du Directoire, signé Merlin . Bientôt les souffrances du pape s'aggravèrent, et le bruit de sa maladie accrut la pitié. Le peuple de Valence à son tour s'agita, et les autorités craignirent de nouveau des éclats de révolte; un jour il fallut

• Hist. de l'enlèvement et de la captivité de Pie VI. Baldassari. Pièces justificatives.

que le moribond se montrât au balcon pour apaiser l'irritation, et il trouva toute l'énergie de sa voix pour jeter au peuple cette dramatique parole: Ecce homo! Alors on voulut le rapprocher davantage de Paris, le voisinage des passions impies devant donner plus de sécurité. « Le cidevant pape sera transféré de Valence à Dijon », disait un arrêté nouveau, et cette fois l'ordre était signé par un prêtre athée, l'abbé Siéyes. Mais la maladie empêcha l'exécution de cet arrêté. Le 19 août, le pape fut pris d'un vomissement obstiné; ce fut l'indice d'une mort prochaine. Il passa dix jours encore dans la souffrance et dans la prière, épuisant ses derniers restes de force à bénir des multitudes d'objets que la piété envoyait de toutes parts; puis il reçut les derniers sacrements: en présence du corps de Notre-Seigneur, et avant de le recevoir, il prononça en latin cette admirable prière, digne d'être conservée à jamais dans toutes les histoires :

<< Seigneur Jésus-Christ, voici devant vous votre vicaire, pasteur du troupeau catholique, exilé, captif, et avec joie mourant pour ses brebis. De vous, mon très-doux Père et mon Maître, je sollicite et souhaite ardemment deux dernières grâces : la première, que vous accordiez le pardon le plus ample à tous mes ennemis et persécuteurs, et à chacun d'eux en particulier; la seconde, que vous rendiez à Rome la chaire de Pierre et son propre trône; à l'Europe la paix, à la France surtout qui m'est si chère, et qui toujours mérita si bien de l'Église chrétienne, votre religion. »

Et peu après il expira 3; nul honneur public ne fut alors rendu à son cercueil; ou plutôt il lui fut rendu le plus touchant de tous les honneurs. Son corps fut déposé dans une chapelle; on avait écrit sur le cercueil ces simples mots : Corps de Pie VI, souverain pontife; priez pour lui. Les pré

'Hist. de l'enlèvement et de la captivité de Pie VI. Baldassari. Pièces justificatives.

Nuit du 28 au 29 août. — Il avait 81 ans 8 mois et 2 jours. Il avait régné 24 ans 6 mois et 19 jours.

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