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l'égalité, elle est défendue par un gouvernement dont elle est la base. Il a voulu que la propriété fût sacrée, elle est rendue inviolable par toutes nos institutions. Répétez ces mots qui ont été déjà proférés dans cette enceinte, et qu'ils retentissent jusqu'aux extrémités de l'Empire: Tout ce qu'a établi le 14 juillet est inébranlable, rien de ce qu'il a détruit ne peut reparaître. »

Tel était le paradoxe de l'Empire, de concilier la Révolution qui avait détruit tout pouvoir avec le plus énorme pouvoir que la France eût jamais connu, d'allier l'égalité à un établissement de cour, la démocratie à une hiérarchie de féodalité, et la liberté même aux pratiques d'une dictature militaire. Et pourtant ce paradoxe était accepté du peuple, parce que dans cette organisation nouvelle, si le plus petit nombre devait toucher à la puissance ou aux honneurs, nul ne serait exclu du droit d'y prétendre. C'était là toute la Révolution.

D'autres contrastes devaient choquer davantage la raison publique; c'était de voir autour de cet Empire des hommes, hier encore fiers de leur rigidité de tribuns, et vêtus de la carmagnole républicaine, se parer de titres chevaleresques et s'affubler de manteaux princiers. Ici la malignité fut à l'aise. Des régicides étaient sénateurs; des moines étaient ducs; des jacobins étaient princes; des évêques portaient l'épée; on eut dit un déguisement de théâtre, et aussi ce qui restait de la société ancienne eut peine à prendre au sérieux ces pompes d'aristocratie, et longtemps elle se dédommagea de la soumission par le persiflage et la satire.

Deux personnages appelèrent surtout l'attention et la malignité dans cette transformation de la Révolution française, Talleyrand et Fouché, l'un ayant mis au service de la société nouvelle un nom antique, avec les vices et le génie de la société disparue, l'autre s'étant façonné aux mœurs de l'Empire par les frénésies de la Convention, tous les deux ayant faussé les pratiques d'une vocation qui devait être sainte, tous les deux apostats; l'un, toutefois, resté grand seigneur et s'imposant à la Révolution par des

allures de supériorité et de mépris; l'autre, effaçant mal ses souvenirs de jacobinisme par des airs de domination, et appliqué à se faire craindre, puisqu'il ne pouvait aspirer à être honoré.

Talleyrand avait quitté la France au moment où la Révolution s'amusait à frapper la tête des premiers qui l'avaient déchaînée; il y était rentré au moment où le Directoire pensait devoir tirer profit des talents et des caractères dressés à l'art de la corruption.

Fouché s'était glissé parmi les factions extrêmes, les servant tour à tour, et échappant de la sorte à leurs proscriptions.

L'un, ministre des affaires étrangères, semblait avoir été montré aux puissances encore régulières comme un représentant des traditions de la grande politique de la France; l'autre, ministre de la police, ou bien maître encore de la police quand le ministère était supprimé1, était montré aux partis divers comme expression des expédients ténébreux de provocation et d'arbitraire.

Tels étaient les deux hommes dont la puissance agaçait le persiflage, si ce n'est que l'un le défiait par les habitudes. d'une moquerie spirituelle, et que l'autre le déconcertait par le mystère d'une police redoutée.

En ce temps-là, les salons s'étaient rouverts et l'esprit. national avait repris quelque vie. Mais ce qu'on appelle la société en France, c'est-à-dire cette partie du monde qui se distingue à la fois par l'élégance et par la vanité, par la politesse et par la morgue, par l'éclat des noms et par le mensonge des souvenirs, s'était retranchée dans une sorte de solitude d'où se jugeaient, avec des ironies secrètes, mais bientôt divulguées, les vices, les prétentions et les ridicules du régime politique qui venait de s'établir, et que protégeaient en vain la puissance, la fortune et la renommée. Le faubourg Saint-Germain s'était presque repeuplé. Quelques débris de vieilles existences avaient échappé au grand naufrage; l'opulence avait disparu, non les tradi

1

• Voyez les Mém. de Bourrienne, tom. V., passim.

tions de luxe et de goût, et là, en de vieux hôtels démeublés, tendait à se refaire une autorité morale en regard de l'autorité de l'Empire, autorité qui s'exerçait par l'opinion, n'ayant plus à s'exercer par le privilége, et d'autant plus puissante qu'elle était désarmée.

Les femmes ne furent pas étrangères à cette autorité des salons. Én elles revivait un souvenir de la vieille société, avec le dépit de ne plus régner sur la société nouvelle. Leur raillerie troubla plus d'une fois Napoléon; devant leurs jugements, la gloire sembla n'être pas assurée d'ellemême, et, ne se croyant pas de force à les affronter par son génie, souvent il les attaqua par la police et les dérouta par les exils 1.

Autour de Napoléon, d'ailleurs, s'étaient élevées brusquement des existences toutes différentes de celles du faubourg St-Germain. Des armées de la République étaient sortis des généraux pleins de vaillance, tels qu'il les avait fallus dans ces soudaines transformations de la guerre; mais plusieurs sans culture, quelques-uns mariés à des femmes d'une éducation vulgaire, de telle sorte que les élévations glorieuses mais soudaines, avec des habitudes de vie et de langage qui rappelaient une destinée différente, étaient une matière trop facile aux ironies.

Les princes de la famille de Napoléon furent surtout en butte au persiflage, et ainsi plus l'Empire s'entourait de pompe, plus la soumission se vengeait par la moquerie. La destinée de Napoléon n'en était point affaiblie, mais elle en était désolée. Le dépit même put ne pas laisser toujours la liberté à sa pensée et à ses actes, et, devant une société qui pour toute indépendance gardait la malignité, il risqua de fausser sa grandeur en l'exagérant, et de l'exposer au ridicule pour la rendre plus imposante.

Enfin une autre autorité apparaissait à la fois, celle des lettres; et celle-là devait aussi importuner l'Empire

nouveau.

'On connaît les exils de madame de Chevreuse, de madame de Staël, etc.

Il a été de mode de nos jours de jeter la raillerie sur la littérature de l'Empire. C'est une de ces fantaisies de l'opinion, qui aime à se rajeunir par le sophisme et le paradoxe.

Les lettres, sous l'Empire, n'étaient pas destinées à jeter le même éclat qui a marqué trois ou quatre grandes époques de l'histoire. Mais elles devaient arrêter l'esprit humain dans la décadence qui le précipitait depuis un siècle.

Le courant philosophique suivait sa marche; mais l'expérience des erreurs commençait à étonner les âmes, et une lutte ouverte put s'engager entre les opinions qui avaient perverti les lettres et celles qui devaient les relever.

A ce seul point de vue, le début du siècle ne mérite pas, comme on l'a cru, les dédains de l'histoire. Châteaubriand avait entouré de poésie les austérités du Christianisme; Bonald avait commencé de déraciner la philosophie matérialiste; le scepticisme survivait, mais déjà déconcerté par la foi, que partout on sentait renaître; la controverse dogmatique reprenait de l'autorité; la chaire avait retrouvé son éloquence; l'abbé Boulogne et l'abbé Frayssinous commençaient à se faire écouter; ce qui restait des meilleurs disciples de Voltaire désavouaient le scandale d'une école impie; la critique ramenait les esprits aux idées antiques; Laharpe et Marmontel, désabusés, avaient ressaisi le fil rompu de la tradition; quelques poëtes chantaient; et un certain goût d'élégance, quoique excessif, était une protestation contre les trivialités et les barbaries qui avaient déshonoré la langue révolutionnaire.

Telle fut la réaction qui se déclara dans les lettres; elle ne fut ni sans courage ni sans éclat. Les académies, réunies sous le nom nouveau d'Institut, résistèrent seules à cette impulsion. Là s'étaient réfugiées les opinions et les haines sceptiques. Là survivait le xvIIe siècle avec l'obstination de ses préjugés. Aussi tout essor nouveau donné à la pensée humaine heurtait ces intelligences routinières. Châteaubriand ne fut pour elles qu'un novateur qui violait le goût. L'Institut ne croyait pas plus à l'imagination qu'au Christianisme; il était matérialiste, mais il était classique. Or il arriva une chose étrange; c'est que Napoléon,

vaillance d'un soldat qui se croit en état de guerre. Tout fut dramatique dans la vie de cet homme; il voulut être pris comme dans un combat, afin de protester davantage contre le soupçon d'assassinat qui révoltait son héroïsme1. Mais l'accusation ne fut guère touchée de ce caractère de chevalerie. Déjà des formes insolites avaient été données à la justice, afin d'assurer la condamnation. Dès l'arrestation de Moreau et de Pichegru, un sénatus-consulte [28 février] avait suspendu pendant deux ans les fonctions du jury pour le jugement des attentats dirigés contre la personne du premier consul; et le lendemain une loi prononçait que le recèlement de Cadoudal et de ses complices serait frappé des mêmes peines que le crime principal. Enfin, un tribunal spécial avait été institué pour juger la conspiration, et l'instruction et l'accusation avaient été confiées à Thuriot, un ancien conventionnel régicide dressé aux pratiques de la justice d'exception; ses conclusions furent terribles; quarante-sept accusés étaient coupables de conspiration effective; ils devaient être punis de mort. Entre les accusés, il y en avait un qu'on supposait poursuivi par une envie secrète de Napoléon, et son crime était sa gloire c'était le général Moreau; et pour cela même une faveur soudaine s'était partout déclarée pour l'illustre vainqueur de Hohenlinden. Le tribunal ne pouvait se soustraire à l'impression des jugements publics; aussi bien, quelques juges effrayaient le gouvernement par l'intégrité de leur vie. De ce nombre était Clavier, le traducteur de Pausanias; on essaya de le disposer à l'iniquité en lui parlant de la clémence de Napoléon: « l'Empereur, lui disaiton, fera grâce à Moreau. » — « Et qui nous fera grâce, à nous? » répondit Clavier.

Ce procès avait ému Paris. L'armée frémissait au nom de Moreau; à l'audience, la vue de ce général au banc des accusés serrait le cœur du peuple pressé dans le prétoire, et, chaque fois qu'il se levait pour répondre au président, les gendarmes se levaient et se découvraient. La sympa

Voyez les récits de Bourrienne.- Mém., tom. VI.

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