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ments et les instincts de la politique qui devait sortir de la victoire 1.

Il n'eut point de peine à dominer les semblants de délibération dans cette assemblée de sénateurs convoqués à la parole de l'empereur de Russie. Soixante-quatre sénateurs étaient présents; Barthélemy les présidait. Un gouvernement provisoire fut d'abord institué il se composa du prince de Bénévent, du général Beurnonville, du comte de Jaucourt, du duc d'Alberg, et de l'abbé de Montesquiou; Dupont de Nemours en fut le secrétaire général. Ce gouvernement devait pourvoir à l'administration, et préparer une Constitution dont le projet serait soumis au Sénat.

Cependant quelque résistance se déclarait contre des actes aussi soudains. Les impériaux, vaincus par les événements, ne cédaient pas volontiers à la politique de quelques sénateurs, et ainsi trois Gouvernements étaient en présence: la régence à Blois, Napoléon à Fontainebleau, et ce gouvernement provisoire né sous les armes de l'Europe, chacun parlant à la France et invoquant des droits contraires. Un moment on put croire que la voix de l'impératrice Marie-Louise serait entendue au conseil des souverains. Mais son père, l'empereur d'Autriche, n'était pas de force à opposer l'affection à la politique, et tout pliait sous une sorte de fatalité plus puissante et plus rapide que les calculs.

Vainement des proclamations, des circulaires, des levées d'hommes ou des négociations partirent de Blois. Vainement aussi les impériaux, dans le délaissement graduel de Napoléon, se rattachaient à l'hérédité de son fils. Le Gouvernement provisoire, qui semblait devoir être le moins en

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Un homme, qui eut à voir de près les incidents politiques qui se mêlèrent aux derniers événements de la guerre, a raconté la part singulière que Talleyrand prit aux résolutions des souverains, et notamment de l'empereur Alexandre. - Vic du prince de Talleyrand, par Michaud, l'éditeur de la Biographie universelle.

* Histoire de la Régence de l'impératrice Marie-Louise, par M. Lehodey, 1814.

état d'avoir prise sur les opinions, domina les résistances, soit parce qu'il annonçait quelque chose de nouveau, séduction puissante snr une nation mobile, soit parce qu'il n'hésitait point dans ses actes, manière assurée de s'emparer de l'assentiment public.

Il se hâta de faire une adresse aux armées françaises : Soldats, disait-il, la France vient de briser le joug sous lequel elle gémit depuis tant d'années.

» Vous n'avez jamais combattu que pour la patrie, vous ne pouvez plus combattre que contre elle sous les drapeaux de l'homme qui vous conduit.

» Voyez tout ce que vous avez souffert de sa tyrannie. Vous étiez naguère un million de soldats, presque tous ont péri; on les a livrés au fer de l'ennemi sans subsistances, sans hôpitaux; ils ont été condamnés à périr de misère et de faim.

» Soldats, il est temps de finir les maux de la patrie; la paix est dans vos mains, la refuserez-vous à la France désolée? Les ennemis même vous la demandent; ils regrettent de ravager ces belles contrées, et ne veulent s'armer que contre votre oppresseur et le nôtre. Seriez-vous sourds à la voix de la patrie, qui vous rappelle et vous supplie; elle vous parle par son Sénat, par sa capitale et surtout par ses malheurs ; vous êtes ses plus nobles enfants, et ne pouvez appartenir à celui qui l'a ravagée, qui l'a livrée sans armes, sans défense, qui a voulu rendre votre nom odieux à toutes les nations, et qui aurait peut-être compromis votre gloire, si un homme qui n'est pas même Français pouvait jamais affaiblir l'honneur de nos armes et la générosité de nos soldats.

» Vous n'êtes plus les soldats de Napoléon, le Sénat et la France entière vous dégagent de vos serments. »

Ainsi parlait le Gouvernement provisoire. C'était un langage de passion, et qui devait laisser au cœur des soldats une longue et fatale blessure; mais telle était la pétulance des réactions, que les circonspects étaient emportés comme tous les autres, et nul ne soupçonnait qu'il fut sage de ménager autrement la fierté d'une armée vouée à

la fortune de Napoléon et associée à ses malheurs comme à sa gloire.

En même temps paraissait un décret du Sénat qui frappait Napoléon de déchéance [2 avril].

L'histoire doit conserver cet acte comme un monument des retours et aussi des lâchetés politiques, non que le décret ne fut pas motivé, mais il l'était pour des méfaits qu'il n'était point donné au Sénat de flétrir, après tant d'excitations données à l'arbitraire, et de si éclatantes glorifications de la servitude.

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2 avril. « Considérant, disait le décret, que dans une monarchie constitutionnelle le monarque n'existe qu'en vertu de la constitution ou du pacte social;

» Que Napoléon Bonaparte, pendant quelque temps d'un gouvernement ferme et prudent, avait donné à la Nation des sujets de compter, pour l'avenir, sur des actes de sagesse et de justice; mais qu'ensuite il a déchiré le pacte qui l'unissait au Peuple Français, notamment en levant des impôts, en établissant des taxes autrement qu'en vertu de la loi, contre la teneur expresse du serment qu'il avait prêté à son avénement au trône, conformément à l'article 53 des Constitutions du 25 floréal an XII;

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11 novembre. >> Qu'il a commis cet attentat aux droits du peuple, lors même qu'il venait d'ajourner, sans nécessité, le Corps législatif, et de faire supprimer, comme criminel, un rapport de ce Corps auquel il contestait son titre et son rapport à la représentation nationale;

31 décembre. -» Qu'il a entrepris une suite de guerres, en violation de l'article 50 de l'acte des Constitutions de l'an VIII, qui veut que la déclaration de guerre soit proposée, discutée, décrétée et promulguée comme des lois ;

5 mars.- » Qu'il a inconstitutionnellement rendu plusieurs décrets portant peine de mort, nommément les deux décrets du 5 mars dernier, tendant à faire considérer comme nationale une guerre qui n'avait lieu que dans l'intérêt de son ambition démesurée;

3 mars 1810.-» Qu'il a violé les lois constitutionnelles par ses décrets sur les prisons d'État;

» Qu'il a anéanti la responsabilité des ministres, confondu tous les pouvoirs et détruit l'indépendance des corps. judiciaires;

>> Considérant que la liberté de la presse, établie et consacrée comme l'un des droits de la nation, a été constamment soumise à la censure arbitraire de sa police, et qu'en même temps il s'est toujours servi de la presse pour remplir la France et l'Europe de faits controuvés, de maximes fausses, de doctrines favorables au despotisme, et d'outrages contre les gouvernements étrangers;

>> Que des actes et rapports, entendus par le Sénat, ont subi des altérations dans la publication qui en a été faite. » Considérant que, au lieu de régner dans la seule vue de l'intérêt du bonheur, et de la gloire du Peuple Français, aux termes de son serment, Napoléon a mis le comble aux malheurs de la patrie par son refus de traiter à des conditions que l'intérêt national l'obligeait d'accepter et qui ne compromettaient pas l'honneur français; par l'abus qu'il a fait de tous les moyens qu'on lui a confiés en hommes et en argent; par l'abandon des blessés sans secours, sans pansement, sans subsistances; par différentes mesures dont les suites étaient la ruine des villes, la dépopulation des campagnes, la famine et les maladies contagieuses;

» Considérant que, par toutes ces causes, le Gouvernement impérial établi par le sénatus-consulte du 28 floréal an XII, ou 18 mai 1804, a cessé d'exister, et que le vœu manifeste de tous les Français appelle un ordre de choses, dont le premier résultat soit le rétablissement de la paix générale, et qui soit aussi l'époque d'une réconciliation solennelle entre tous les Etats de la grande famille européenne ;

» Le Sénat déclare et arrête CE QUI SUIT. >>

Et ce qui suit, c'était l'abolition de l'Empire, de cet Empire que le Sénat conservateur devait défendre par ses actes, et que peut-être il avait précipité par ses adulations.

<< Art. 1. Napoléon Bonaparte est déchu du trône, et le droit d'hérédité établi dans sa famille est aboli.

» Art. 2. Le Peuple Français et l'armée sont déliés du serment de fidélité envers Napoléon Bonaparte. »>

Tel était l'arrêt prononcé contre l'Empire après tant d'apothéoses.

Néanmoins, une image de liberté était montrée à la France, et l'enthousiasme public fit oublier les lâchetés du Sénat. L'empereur Alexandre, imagination chevaleresque, donna à ce mouvement des âmes une impulsion singulière. Une députation du Sénat s'étant présentée, il lui parla en ces termes : « Un homme qui se disait mon allié, est arrivé dans mes États en injuste agresseur; c'est à lui que j'ai fait la guerre et non à la France. Je suis l'ami du peuple de France. Ce que vous venez de faire redouble encore ce sentiment. Il est juste, il est sage de donner à la France des institutions fortes et libérales qui soient en rapport avec les lumières actuelles. Mes alliés et moi, nous ne venons que pour protéger la liberté de vos décisions. Pour preuve de cette alliance durable que je veux contracter avec votre nation, je lui rends tous les prisonniers français qui sont en Russie. Le Gouvernement provisoire me l'avait déjà demandé ; je l'accorde au Sénat d'après la résolution qu'il a prise aujourd'hui. »><

Ainsi entre l'Empereur et le Sénat allait se partager la gratitude des familles; entre l'un et l'autre aussi allait se partager l'honneur de ce retour inattendu d'idées de liberté, contraste étonnant avec les idées de despotisme, sous lesquelles s'étaient façonnées les générations de l'Empire.

Tout suivit cette impulsion. Soixante-dix-sept membres du Corps législatif présents à Paris adhérèrent aux actes du Sénat; la cour de cassation donna le même exemple ; et bientôt arrivèrent des adresses signées par les corps de ville, par les magistratures ou par les citoyens. De vieux jacobins semblaient les plus prompts à protester contre les violences fatales qui avaient fait passer la France tour à tour des excès de la licence aux excès de la dictature. La langue manquait d'expressions assez énergiques pour condamner surtout les crimes qui avaient mutilé la maison royale; les plus coupables pensaient s'absoudre par l'éclat

TOM. I.

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