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mêmes souvenirs et la même peur, et montrer la nécessité d'un gouvernement ferme et provisoire, deux conditions contradictoires, mais qui suffisaient à l'anxiété présente et peut-être aux desseins cachés de l'avenir.

La commission proposait l'exclusion du Corps législatif de soixante-deux membres du conseil des Cinq-Cents, et déférait le pouvoir exécutif à trois consuls: Siéyes, RogerDucos et Bonaparte; deux commissions des deux conseils devaient avoir l'initiative des lois, et la commission consulaire lui proposerait ses vues de réforme. Un Code civil devait être préparé pour la législature prochaine, ajournée. à trois mois, au 1°* ventôse.

Tout ce plan fut adopté; on l'envoya au conseil des Anciens, qui l'adopta de même; et Cabanis proposa une proclamation pour justifier devant la France ce changement de constitution. C'est pour l'histoire un sujet de pensées graves et tristes, de voir comme aux jours de révolution chaque vicissitude a pour raison le salut du peuple ; ainsi chaque dessein nouveau est toujours assuré d'une apologie.

« La République vient encore une fois d'échapper aux fureurs des factieux, disait Cabanis aux Français dans sa proclamation. Vos fidèles représentants ont brisé le poignard dans ces mains parricides; mais, après avoir détourné les coups dont vous étiez immédiatement menacés, ils ont senti qu'il fallait enfin prévenir pour toujours ces éternelles agitations; et, ne prenant conseil que de leur devoir et de leur courage, ils osent dire qu'ils se sont montrés dignes de vous. »

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Et après ce début la proclamation retraçait de nouveau les périls que des hommes séditieux venaient de faire courir à la France, si ce n'est que la langue cette fois était sans emphase; l'instabilité dans le gouvernement avait produit l'instabilité dans les lois, et la proclamation annonçait un régime provisoire, chargé de réorganiser l'Etat, mais revêtu d'une force suffisante pour faire respecter ses actes.

« Le royalisme, ajoutait la proclamation, ne redressera

pas la tête; les traces hideuses du gouvernement révolutionnaire seront effacées; la République et la Liberté cesseront d'être de vains noms; une ère nouvelle commence. >> Ainsi montrait-on l'avenir; nul pouvoir nouveau ne s'élève sans provoquer l'espérance, et la destinée des révolutions ne s'achève que par cette succession d'alternatives, qui ne sont d'ordinaire qu'un échange d'illusions.

Toutefois, il fut aisé de pressentir que la Révolution française arrivait du moins cette fois au terme de son anarchie. Aussi, lorsque les trois consuls furent appelés à prêter le serment « à la souveraineté du peuple, à la République, à la Légalité, à la Liberté et au système représentatif, Lucien, qui aimait la solennité théâtrale des harangues, put annoncer à la France une politique d'ordre et de sécurité. « Plus d'actes révolutionnaires! Plus de titres! Plus de listes de proscription! Liberté! Sûreté pour tous les citoyens! Garantie pour les gouvernements étrangers qui voudront faire la paix ! Et quant à ceux qui voudraient faire la guerre, s'ils ont été impuissants contre la France désorganisée, que sera-ce aujourd'hui? » En un mot, l'espérance avait rayonné dans les âmes. Du Corps législatif, elle alla porter la sérénité dans Paris. La nuit du 18 au 19 s'était passée dans l'attente du drame; quand tout fut achevé, la joie fut soudaine. Les consuls, en entrant à Paris, trouvèrent la ville illuminée. Les Jacobins étaient vaincus; il n'y eut plus qu'à annoncer à la France, par des proclamations, l'événement qui partout allait exalter le même enthousiasme.

Tel fut le 18 brumaire; ère nouvelle en effet dans la Révolution, qui aux excès de la liberté allait faire succéder les excès de la puissance, comme il arrive dans les temps de perturbation, où tout est extrême, où les vieilles lois sont abolies, où les lois nouvelles sont sans force, où la société passe d'épreuve en épreuve, de l'anarchie à la servitude, jusqu'à ce que quelque habile dominateur vienne la séduire ou la distraire par la gloire, ce qui est une dernière sorte d'asservissement, et parfois de corruption.

Du reste, il ne paraît pas que les plus ambitieux du pou

voir eussent alors prémédité une de ces entreprises qui changent totalement une constitution d'Etat. La République restait au fond des opinions, et tout ce que put alors rêver Bonaparte, ce fut de voir l'autorité se renouveler en ses mains comme aux mains des autres consuls par l'élection, si ce n'est apparemment que portant l'épée, il se sentait une force que nul autre ne pourrait égaler.

« Nous pensions, dit Lucien, que les trois consuls provisoires, égaux en droit, seraient élus consuls définitifs. Napoléon disait dans son intérieur: « Les consuls étant » rééligibles, nous n'avons qu'à bien faire, et la France ne » demandera pas mieux que de nous réélire toujours. »

» Son ambition en brumaire n'allait pas plus loin. Nous étions tous persuadés intimement que les Français étaient républicains jusqu'au fond de l'âme..... Et aucun de nous n'avait d'arrière-pensée. Sur ce point, l'expérience de Siéyes, le coup d'œil de Bonaparte n'allaient pas plus loin. » Voilà ce qu'on doit se dire, ajoute Lucien, pour ne pas changer l'histoire en roman 1.

«

Et il se conçoit en effet que dans cette succession rapide de catastrophes, nul génie d'homme n'ait été de force à devancer, par le pressentiment, l'ensemble des nouveautés fortuites qui déroutaient les desseins les mieux concertés et les résolutions les plus réfléchies. Aussi parut-il y avoir dans la destinée particulière de Bonaparte beaucoup de ce que les hommes appellent le hasard, si ce n'est que jeté inopinément en des situations imprévues, il se jugea égal à ce qu'elles avaient de plus extraordinaire, et il joua son personnage dans tous ces drames comme s'il en avait médité la conduite et maîtrisé les dénouements. De là une confiance qui ressembla à de la superstition.Bonaparte songea peu à la Providence; mais il crut à son étoile; et en voyant la fortune lui prodiguer tous les succès, il put

Récit de Lucien. D'autres l'ont dit comme Lucien. « Le 18 brumaire fut fait contre l'anarchie...... Il ne fut fait ni pour ni contre personne, ni pour Bonaparte, ni contre les directeurs régnants. » L'abbé de Prast, les Trois Concordats, 2 vol., p. 66.

finir par imaginer qu'en lui était la raison et comme le terme des temps nouveaux.

Ce qui est certain, c'est que la révolution du 18 brumaire fit succéder à la République anarchique, sanglante, irrégulière, affaiblie et corrompue que la France venait de subir, une République pure, sage et glorieuse, et les républicains qui cherchaient l'ordre dans la révolution purent applaudir sans scrupule à un coup d'Etat par où se réalisait leur espérance. L'avenir leur réservait de cruels mécomptes.

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CHAPITRE II.

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Cours des événements; la politique et la guerre.-Kléber en Égypte. Situation de l'armée; plaintes de Kléber. Négociations, craintes d'un désastre.—Proclamation des Consuls; déguisement des périls. Situation meilleure en Europe. Renouvellement des commandements; Moreau sur le Rhin, Masséna en Italie. Constitution nouvelle; retour aux idées d'unité dans le pouvoir. -Mesures d'ordre; actes arbitraires; réaction contre la Révolution.-Génie de Bonaparte.- La Révolution disciplinée, la démagogie vaincue.-Applaudissements de la France.-Lettre du premier consul au roi d'Angleterre.-Réponse du Ministère anglais. -Bonaparte avait proposé la paix ; il annonce la guerre.— Proclamation à l'armée. Suite des desseins de pacification intérieure. -Son attention se porte sur l'Église.—Avénement de Pie VII.— Hommages rendus à Pie VI.—Grande politique de Bonaparte. Événements d'Égypte.-Guerre d'Europe. Apprêts de la campagne. Passage des Alpes. Masséna assiégé dans Gênes; fin glorieuse du siége.-Bataille de Marengo.-Particularités; hasard de la victoire.-Suite de la bataille.-Nouvelle de l'assassinat de Kléber.-Combats en Allemagne.-Succès divers.-Moreau gagne une grande bataille à Hohenlinden. -Suite de la guerre. Attentat contre Bonaparte, le 3 nivôse.-Compression politique; mort de la liberté. Vœux de paix en Europe. - Armistice. - Politique des souverains par rapport à Louis XVIII. Le roi chassé de Russie. Malheurs de la maison de France.-Conduite du roi de Prusse. L'Angleterre persiste dans la guerre.-Lutte en Égypte. -Les Français succombent sous le nombre.-Le czar Paul Ier est étranglé.-Combat sur mer; la France respire.

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Tandis que se consommait cette révolution dans l'État, la politique et la guerre suivaient leur cours avec une fortune diverse.

L'Égypte était surtout restée en proie à de cruelles vicissitudes. Le départ inopiné et mystérieux de Bonaparte avait laissé dans l'armée une surprise mêlée de colère. Les

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