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sur les agressions de la France, et surtout sur le système de destruction universelle qui avait été toute la politique de la Révolution. Ce fut l'occasion d'un échange de notes, où Bonaparte eut l'art de s'oublier lui-même, et de s'attirer le mérite de la modération 1. Pendant ce temps, Pitt criait aux communes : « Dans aucun cas, ne traitez avec cet homme!» Il ne croyait pas à sa parole, ou peut-être il ne croyait pas à sa force. Alors Bonaparte prit un autre langage. « Le ministère britannique, dit-il aux Français, repousse la paix ; il faut pour la conquérir de l'argent, du fer et des soldats. » Et bientôt l'Europe apprit qu'elle avait à tenir compte de ses ouvertures de paix comme de ses menaces de guerre.

Du reste, il avait aussi écrit une lettre à l'empereur d'Autriche; mais il n'y eut de ce côté qu'un vain échange de notes. Le meurtre des plénipotentiaires français de Rastadt avait laissé des causes de guerre difficiles à arracher par des raisonnements et par des théories d'humanité. Cette initiative pacifique ayant donc été vaine, Bonaparte se réserva de s'en faire une force pour la guerre, et il adressa une proclamation à l'armée; c'est l'armée qu'il faisait juge de tout ce qui se rapportait à l'honneur public, et déjà on a vu quelle langue il savait parler pour remuer la fibre militaire.

<< Soldats, dit-il cette fois, en promettant la paix au peuple français, j'ai été votre organe; je connais votre valeur.

» Vous êtes les mêmes hommes qui conquirent la Hollande, le Rhin, l'Italie, et donnèrent la paix sous les murs de Vienne étonnée.

» Soldats, ce ne sont plus vos frontières qu'il faut défendre; ce sont les Etats ennemis qu'il faut envahir.

» Il n'est aucun de vous qui n'ait fait plusieurs campagnes, qui ne sache que la qualité la plus essentielle d'un soldat est de savoir supporter les privations avec constance; plusieurs années d'une mauvaise administration ne peuvent être réparées dans un jour.

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' Voyez ces notes dans les Mém. de Bourrienne, tom. III.

» Premier magistrat de la République, il me sera doux de faire connaître à la nation entière les corps qui mériteront, par leur discipline et leur valeur, d'être proclamés les soutiens de la patrie.

» Soldats, lorsqu'il en sera temps, je serai au milieu de vous, et l'Europe étonnée se souviendra que vous êtes de la race des braves. »

C'était une préparation plutôt qu'une excitation des esprits. Bonaparte avait l'art d'amener les armées à vouloir la guerre; c'était un moyen de la rendre passionnée et for

midable.

En même temps, il continuait d'organiser l'administration, les ministères, les corps publics; le conseil d'État fut l'objet principal de ses soins. Là devait être le nerf de son gouvernement. Il le divisa en sections: intérieur, finances, marine, guerre, législation. Il voulut que les conseillers d'État eussent un costume; la République, par son système de nivellement, avait ôté tous les signes extérieurs de dignité; il les fit reparaître, mais en leur donnant une exagération théâtrale.

Il pensait ne point choquer l'égalité démocratique par ces sortes d'inégalités, qui semblaient n'être qu'une pompe; les consuls eurent leur costume comme les ministres. Il voulut que les fêtes même eussent un caractère de distinction; c'était, pensait-il, ramener les goûts et les mœurs de la monarchie à la place des trivialités de la République'.

Une autre sollicitude le captivait; il avait à pacifier les provinces où la guerre civile gardait tous ses germes. La chouannerie avait jeté moins d'éclat que la Vendée; mais elle n'avait pas moins tenu en échec les armées les plus intrépides et les généraux les plus vaillants. Une première convention signée à Monfaucon (20 janvier 1799) avait été un heureux commencement de paix; les restes épars de ces forces catholiques achevèrent de se soumettre. Le Morbihan, les Côtes-du-Nord, le Finistère suivaient l'exem

' Voyez les Mém. de Bourrienne, tom. III.

ple de Maine-et-Loire, non sans laisser dans l'esprit de Bonaparte la pensée d'une satisfaction éclatante à donner à la foi qui avait armé ces populations.

C'est au nom de la foi qu'elles avaient, en effet, soutenu des luttes si acharnées; pour elles la royauté était une partie du christianisme, et elles n'avaient eu que trop de motifs d'associer de la sorte la politique à la religion, lorsqu'elles avaient vu tomber du même coup la monarchie et l'Église, et périr sur les mêmes échafauds les fidèles de

l'une et de l'autre.

Bonaparte, avec ses instincts de bon ordre, vit aisément que le plus assuré moyen de désarmer la colère toujours bouillonnante des populations catholiques serait de leur rendre leurs prêtres avec la sécurité de leur culte et la dignité de leurs autels.

Bientôt, il fut affermi dans sa pensée par un événement que les hommes auraient pu croire inespéré dans l'état où la mort de Pie VI avait laissé l'Église.

Au dire des survivants des philosophes du xvIII° siècle, Pie VI devait être le dernier pape. Mais juste au moment de sa mort, s'était fait ce brusque retour de fortune qui avait livré l'Italie aux armes de l'Europe; et alors on avait vu cette étonnante coalition de Russes, d'Anglais, d'Allemands, de Turcs, catholiques, protestants, schismatiques, infidèles, tous pêle-mêle, marchant vers Rome, et arrachant l'Église à la servitude. Les Turcs étaient à Ancône; le Milanais était sous la main des Russes; Venise était libre; c'est là que trente-deux cardinaux, auparavant dispersés par la tempête, purent se réunir pour l'élection d'un pape nouveau, et délibérèrent durant cent quatre jours, comme si le monde eût été dans sa marche naturelle, et sans aucun indice de tempête ni de péril.

Le conclave avait été laborieux; il lui fallut vaincre la longue résistance du cardinal Chiaramonti, évêque d'Imola, lequel pouvait se croire inégal à un tel fardeau dans les conjonctures présentes. L'humble évêque enfin se résigna, tenté peut-être par le pressentiment des angoisses qui pouvaient lui être réservées, et de s'associer à la gloire du grand

pape Pie VI, dont il était le parent et dont il avait été l'ami. Cet événement ne fut pas inaperçu de Bonaparte; il savait la puissance de la foi et la part de la religion dans la conduite des peuples. Il sentit aussitôt l'action qui reviendrait au souverain pontife pour l'apaisement des âmes. Déjà on l'avait vu, par un instinct rapide, et dès qu'il avait touché le sol de France en revenant d'Égypte, s'incliner devant la mémoire du pape Pie VI, et protester autant qu'il le pouvait alors contre les barbaries du Directoire. Comme en effet il se rendait de Fréjus à Lyon, il apprit à Valence les infortunes et la mort de Pie VI. Il voulut voir les ecclésiastiques, serviteurs du pape, et il écouta leurs récits avec émotion. C'est un d'entre eux qui le raconte : « Et vous, que pensez-vous faire? dit-il. Nous lui répondîmes que nous désirions beaucoup retourner en Italie, mais que, malgré toutes nos instances, nous n'avions pu obtenir de passeports. Il est juste, reprit-il, que vous retourniez aux lieux où votre religion s'exerce en liberté. Mais le corps du pape que voulez-vous en faire? Nous lui dîmes que nous avions jusqu'alors inutilement sollicité du Directoire la permission de le transporter en Italie, pour l'inhumer suivant les intentions qu'avait manifestées le feu pape. Bonaparte répliqua qu'il ne voyait à cela aucune difficulté1. »

Bonaparte enfin s'informa de tout ce qui pouvait toucher ces pauvres prêtres expatriés; il s'étonna d'apprendre qu'on ne leur permettait pas de correspondre avec leurs familles : C'est trop fort! s'écria-t-il, et il promit de faire en sorte que ces rudesses farouches eussent une fin.

Et, en effet, à peine arrivé à Paris, Bonaparte avait fait changer les mesures impitoyables à l'égard des serviteurs 'du pape, et, peu après le 18 brumaire, un arrêté consulaire prescrivit que des honneurs publics seraient rendus au corps de Pie VI, délaissé tristement dans un coin de la citadelle de Valence.

« Les consuls, disait l'arrêté, considérant que le corps 'de Pie VI est en dépôt dans la ville de Valence, sans qu'il

1 Baldassari. — Hist. de l'enlèvement et de la captivité de Pie VI.

lui ait été accordé les honneurs de la sépulture; — que si ce vieillard respectable par ses malheurs, a été un moment l'ennemi de la France, ce n'a été que séduit par les conseils qui environnaient sa vieillesse ;-qu'il est de la dignité de la nation française, et conforme à la sensibilité du caractère national, de donner des marques de considération à un homme qui occupe un des premiers rangs sur la terre; arrêtent : 1o Le ministre de l'intérieur donnera ses ordres pour que le corps de Pie VI soit enterré avec les honneurs d'usage pour ceux de son rang; 2o Il sera élevé sur le lieu de sa sépulture un monument simple, qui fasse connaître la dignité dont il était revêtu 1. »

Et cet arrêté fut exécuté avec éclat. Les autorités civiles et militaires entourèrent d'honneurs le cercueil du pape, et les multitudes populaires s'étonnèrent de voir de tels hommages rendus à celui dont il était criminel peu auparavant de plaindre le malheur.

Ainsi s'était annoncé, de la part du premier consul, un retour de politique en sens inverse des pensées qui avaient fait du gouvernement des peuples une théorie demi-sauvage.

Et tandis que se méditaient en son esprit de si prodigieux retours, le monde voyait se multiplier une étrange variété d'incidents.

En Egypte, Kléber avait signé un traité d'armistice avec le grand-visir, 24 janvier. Il devait évacuer l'Egypte, et l'armée française devait être transportée en France, tant sur ses vaisseaux que sur ceux que la Porte aurait à fournir. L'amiral anglais sir Sidney Smith avait pris part à la négociation de ce traité par ses communications officielles avec la Porte; il ne fut pas également soigneux d'en assurer l'exécution. Kléber, se confiant au traité d'El-Arisch, avait déjà livré les places de Salahich, Catiëh, Belbéis et Damiette, et il se disposait à embarquer son armée, lorsqu'une lettre de lord Keith, commandant la flotte anglaise, vint le sommer de mettre bas les armes et de livrer son armée à discrétion. Kléber se borne à distribuer cette let

' Baldassari.-Hist. de la captivité de Pie VI. Pièces justif.

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