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quatre de soixante-quatorze, une frégate de trente-six et un lougre. Les forces sont inégales; mais les Français sont appuyés par une batterie d'artillerie et par sept chaloupes espagnoles. Ils restent maîtres du combat; le vaisseau l'Annibal est le prix de la victoire.

Quelques jours après, leur vaisseau le Formidable, qui avait le plus souffert dans cette bataille d'Algésiras, est enveloppé en vue de Cadix par trois vaisseaux de l'escadre anglaise. Il démâte l'un de ces vaisseaux et force les autres à l'abandonner.

Tel était le mélange d'événements dans ce début du siècle. L'Europe était lasse de ses dix ans de luttes mal concertées. La France avait besoin de respirer. La paix, proclamée sur le continent, fit naître l'espérance au cœur des peuples, et tout fut propice pour faire succéder à la longue anarchie qui avait désolé l'État un système de gouvernement qui pacifiât les opinions et rétablît la sécurité.

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CHAPITRE III.

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Bonaparte suit son dessein de

Vues du premier consul sur la religion. — État du clergé. Les assermentés; les prêtres fidèles. —Les évêques et les prêtres émigrés. Alternatives dans la persécution. —La France sans religion publique. - Le décadi. Etat des écoles. - Premiers actes du Gouvernement consulaire.-Lois et décrets de séparation.-Actes personnels de Bonaparte. Manifestations dans les églises. Manéges des constitutionnels. relever l'Église. — Concordat. - Un légat en France. Conduite admirable des anciens évêques de France.-Résistances de quelques-uns.-Bulle du Pape.-Constitution nouvelle de l'Église.Dispositions de la France.-Sentiments divers.-Promulgation du Concordat. Magnifique solennité à Notre-Dame. — Les évêques dans leurs diocèses.-État des peuples; triomphe de la religion. -Événements politiques au dehors.-Fin de l'expédition d'Égypte. - Préliminaires de paix avec l'Angleterre ; traité de paix avec la Russie. · Apprêts d'expédition contre Saint-Domingue; dénouements effroyables. — Paix d'Amiens.—Situation des émigrés français; récits funestes. - Conduite des gouvernements; alternatives de pitié et de barbarie. — Le prince de Condé et Louis XVIII. — Fortunes diverses des émigrés ; admirables et touchants exemples. La religion ingénieuse à consoler le malheur des fugitifs. Bonaparte met fin à la proscription. Sénatus-consulte. Amnistie. Suite des desseins de réforme intérieure. Modification du pouvoir consulaire. - Instincts de Monarchie dans la République. Quelques résistances se montrent; hardiesse de Bonaparte à les combattre.-Rétablissement des idées d'autorité; travaux du Conseil d'État; collection des lois; Code civil; questions de droit politique; liberté de la presse; organisation des tribunaux ; l'ordre de la Légion-d'Honneur. L'esprit philosophique et parlementaire survit. Articles organiques du Concordat. divers. Le Pape se plaint; les évêques n'entrevoient que le bien fait à la religion; termes extrêmes de gratitude. Louis XVIII; lettres de Louis XVIII à Bonaparte.

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Jugements

Messages à

La religion s'offrit naturellement comme le premier

intérêt qu'un pouvoir ordonné dut satisfaire.

Quels que fussent les sentiments du premier consul en

matière de foi, il était impossible que cette question de la religion ne se présentât pas à lui comme une capitale question d'Etat, lorsque sa politique tendait à réagir contre le courant d'idées anarchiques et d'actes pervers qui avait emporté la France et brisé tous les liens sociaux.

Si la Révolution n'avait été qu'une réforme, le peuple entier l'eut glorifiée. Mais elle avait été une extermination, et elle restait maudite de ceux-là même qui cherchaient en elle un affranchissement.

Les enseignements sceptiques du dernier siècle n'avaient pas surtout assez corrompu les opinions, pour que les hommes appliqués aux affaires ne fussent pas effrayés du vide immense que laissait, au sein d'une vieille nation chrétienne, la disparition de son culte et de ses prêtres. Vainement on avait cherché à remplir ce vide par un fantôme de christianisme et par des formes de hiérarchie sacerdotale. Les curés et les évêques institués sous le nom de clergé constitutionnel, maudits par les croyants, honnis par les incrédules, n'avaient pris aucune racine dans le peuple. Et même, il était arrivé que la plupart de ces prêtres, ceux que la peur avait fait fléchir, étonnés et troublés en leur conscience par l'aversion qui s'attachait à leur nom d'assermentés, avaient retiré leurs serments; les siéges établis par la révolution en 1790 avaient été délaissés; la constitution civile du clergé avait fini par être abolie; les cérémonies extérieures avaient été prohibées; les temples avaient été dévastés ou profanés; et ainsi, pas même une fiction d'Eglise ne restait à la France : ce qui lui restait, c'étaient des prêtres voués au martyre, qui, sous des déguisements de toute sorte et au péril de leur vie, portaient aux familles les consolations et l'espérance. Rien n'avait égalé jamais cette émulation de sacrifice et de courage.

D'autre part, les évêques de l'ancienne Eglise de France étaient au loin dispersés; plusieurs avaient péri sous les coups de l'anarchie. Une multitude de prêtres fidèles avaient fui comme leurs pasteurs le sol de la patrie, ce sol qui donnait la mort. On les avait vus chercher des asiles en Espagne, en Suisse, en Italie, en Allemagne, en Angle

terre, en Russie; partout l'hospitalité s'était ouverte avec un empressement de respect et d'amour, et, en échange des bienfaits, ce clergé fugitif et dénué apportait des exemples; ce fut le plus magnifique spectacle que l'Europe chrétienne eut jamais pu contempler : « Trente mille ecclésiastiques, dit l'abbé de Pradt, jetés en des terres étrangères, sans autre frein que celui de leurs devoirs, et ne manquant jamais à aucun 1. » L'histoire ne sait peut-être pas encore ce que cette dispersion des prêtres catholiques devait laisser au sein de l'Europe de germes d'unité; au moins peutelle dire ce qu'elle y a laissé de souvenirs d'admiration. Par eux, le nom de la France put continuer d'être honoré, lorsque tant d'excès devaient le faire maudire. Ainsi, ils protestaient par leurs vertus, et aussi par la politesse de leur vie, contre la dégradation des mœurs et des lois; et par la science dont la plupart étaient ornés, ils semblaient être des missionnaires de civilisation, lorsque la philosophie avait fait de la France une arène de barbarie.

Quoi qu'il en soit, l'Eglise de France ne présentait nulle trace d'organisation et d'autorité. On avait vu d'ailleurs d'étranges alternatives dans la persécution. Parfois les tyrans semblaient lassés et ils proclamaient la tolérance; puis, la fureur se rallumait, et elle inventait des modes nouveaux de proscription. L'histoire de la législation révolutionnaire est une horrible succession d'actes, où éclate tour à tour la frénésie et l'impuissance".

En 1796, des législateurs déclarèrent à la tribune qu'il ne fallait pas plus s'occuper des prêtres que des rabbins ou des talapoins : l'indulgence était le mépris. D'autres soutinrent que c'était le moment, au contraire, d'aggraver les lois de 93, et ils proposaient d'expulser sans jugement tout ce qui restait de prêtres, c'est-à-dire vingt-cinq mille: ce fut cette opinion qui triompha au conseil des Cinq Cents, comme la plus digne des oppresseurs et des opprimés;

Les trois Concordats.

Discours et travaux inédits de Portalis, 1845. • Prêtres des royaumes de Siam et du Pégu. conseil des Cinq-Cents, 1er mai, 12 floréal an IV.

· Moniteur, séance du

mais au conseil des Anciens, Portalis la fit rejeter par son éloquence. L'arbitraire cependant continuait de sévir, selon le génie de chaque province et de chaque tyran. Presque partout les prêtres, surpris dans leurs asiles, étaient proscrits comme malfaiteurs. On en avait ainsi entassé des multitudes dans la citadelle de l'île de Ré; c'était comme un entrepôt, d'où on les faisait déporter à Sinnamary; plusieurs périssaient dans ce supplice, pire que l'échafaud1.

Et pendant ce temps, une religion publique manquait à la France. L'homme naissait et mourait comme sur une terre sauvage. Nul signe de culte, si ce n'est des fêtes païennes, autour d'un autel de la Patrie, élevé dans les Eglises souillées. On suppléait aux cérémonies religieuses par des pompes idolâtriques et vaines, en l'honneur de la victoire, de la liberté, des vieillards, des époux, de l'agriculture.

<< A cette époque, dit M. Portalis, l'athéisme même voulut avoir ses pontifes, ses rites et ses autels. » Et l'éloquent jurisconsulte décrit la secte effroyable, qui, sous le nom d'hommes sans Dieu, se fit des règles, des assemblées, des cérémonies publiques et régulières. « Chose inouïe et jusque-là sans exemple! on ne voulait plus que la Religion eût un culte, et l'impiété en avait un 2. >>

Le prêtre constitutionnel gardait pourtant çà et là ses autels déserts; on l'obligeait de participer à la solennité des fêtes athées; le repos du Seigneur était proscrit, mais le décadi était sanctifié, et quelques rares églises ne pouvaient s'ouvrir que ce jour. Et tout se ressentait de cette violation universelle des lois chrétiennes. L'éducation répondait au délire des impiétés politiques. Les enfants étaient élevés dans l'ignorance du Dieu des chrétiens; on les exaltait par des souvenirs grecs ; et en même temps les études classiques étaient délaissées, comme pour attester que la même haine était vouée aux enseignements qui polissent

Mémoires historiques sur les affaires ecclésiastiques de France, 1er vol.

* De l'usage et de l'abus de l'esprit philosophique, tom. II.

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